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Christian Thomsen

Connaissez-vous Kalliwoda ?

Ce nom n’est ni celui d’un écrivain injustement méconnu, ni celui d’un médecin oublié de nos jours, et donc encore moins celui d’un de ces écrivains-médecins dont je m’amuse régulièrement à tirer le portrait dans ce blog, mais celui d’un musicien. Bien que mélomane depuis l’adolescence, je dois reconnaître que je n’avais jamais entendu parler de ce compositeur et violoniste virtuose jusqu’à une date toute récente. Peut-être ne suis-je pas le seul dans ce cas ? Cette découverte fut une très belle surprise, que je dois à l’éditeur de disques La dolce Volta, qui fait un magnifique travail éditorial à une époque où l’écoute de la musique classique enregistrée passe de moins en moins par le traditionnel CD, et de plus en plus par le streaming, légal ou sauvage.

Je respecte infiniment le travail de cet éditeur, tant chaque CD est un bel objet, accompagné d’un livret quadrilingue (du français au japonais, en passant par l’anglais et l’allemand) qui contient les informations essentielles sur les œuvres et les interprètes, sans tomber dans la musicologie absconse et rébarbative pour le simple mélomane. De plus j’aime tout particulièrement le répertoire que défend La dolce volta, notamment des programmes très originaux de musique pour piano, interprétés par de magnifiques pianistes. On y trouve (par ordre alphabétique, qui évite toute subjectivité) des pianistes célèbres comme mon cher Philippe Cassard, le regretté Aldo Ciccolini, le revenant Jean-Philippe Collard, le toujours fringant Michel Dalberto, le très âgé mais toujours jeune Menahem Pressler, et d’autres un peu moins connus, mais tout aussi talentueux, comme Pascal Amoyel, Philippe Bianconi, Dana Ciocarlie (intégrale Schumann), Geoffroy Couteau (intégrale Brahms), le très original William Latchoumia, le tout jeune Florian Noack, Cédric Pescia ou encore Vanessa Wagner. Quel beau tableau de chasse pianistique !


En feuilletant leur catalogue, qui comprend donc essentiellement du piano mais aussi de la musique de chambre, les deux répertoires que je préfère, et de loin, je suis tombé sur un coffret-anniversaire destiné à célébrer, en 2014, les cinquante ans d’existence d’un quatuor à cordes que j’aime tout particulièrement car il m’a fait découvrir dans ma jeunesse, au disque et en concert, beaucoup de chefs-d’œuvre de musique de chambre, le Quatuor Talich, avant que je ne fasse la rencontre des mêmes œuvres interprétées par d’autres formations plus récentes. Je pense en particulier au Quatuor Pražák, spécialiste de la seconde école de Vienne, et surtout de Leoš Janáček, dont les deux quatuors à cordes, le premier intitulé « Sonate à Kreutzer », et le second « Lettres intimes », sont parmi mes œuvres de musique de chambre préférées. Et le violoncelliste du Quatuor Pražák, le très talentueuxMichal Kaňka, m’a fait découvrir ce joyau inestimable qu’est la sonate pour violoncelle seul du compositeur hongrois Zoltán Kodály, que je peux écouter en boucle. Je suis à chaque fois stupéfait qu’un seul instrumentiste puisse jouer en même temps une mélodie dans le registre aigu, avec l’archet, et des pizzicati dans le grave (extraordinaire adagio central). Quiconque ne connaîtrait pas l’œuvre jurerait entendre deux violoncellistes. Depuis cette découverte, j’accumule les nouvelles versions de ce chef d’œuvre que j’aimerais faire découvrir à un maximum de gens. Chaque nouvelle interprétation (qu’il s’agisse d’Emmanuelle Bertrand ou de Jean-Guilhem Queyras) réussit encore à me surprendre, notamment la dernière en date, celle du tout jeune Aurélien Pascal, incluse dans un disque joliment intitulé « All’Ungarese » », que je trouve absolument extraordinaire.

Bien que la plupart des CD du coffret soient déjà présents dans ma discothèque, j’ai fait l’acquisition de ce dernier, à prix cassés, et j’y ai fait quelques belles découvertes, notamment celles des trois quatuors de Kalliwoda, musicien que je ne connaissais pas, ce qui me ramène à mon point de départ, dont je m’étais quelque peu éloigné. N’ayant jamais entendu ce nom, j’ai tout d’abord pensé qu’il s’agissait d’un compositeur contemporain dont le Quatuor Talich aurait assuré la création des trois pièces en question. Je me suis donc amusé à écouter ces quatuors sans rien savoir de leur auteur. Dès le premières notes, aucun doute n’était permis, il s’agissait d’œuvres écrites au XIXème siècle, qui ressemblaient tantôt à du Mendelssohn, tantôt à du Dvořák.


Le moment était venu de prendre connaissance du livret qui accompagne le CD, et de savoir enfin qui est Kalliwoda, cet inconnu notoire. Avant de vous en dire un peu plus, je signale que ce compositeur est né à Prague en 1801, qu’il a fait l’essentiel de sa carrière en Allemagne, où il est mort en 1866, à Karlsruhe. Ses trois quatuors (les seuls de sa production) ont été écrits entre 1835 et 1838, et sont strictement contemporains des trois quatuors de l’opus 44 de Mendelssohn (1837 et 1838). Notre compositeur est donc tchèque (en fait bohémien) comme Dvořák, et proche, dans le temps comme dans l’espace, de Mendelssohn.

Un coup d’œil aux deux dictionnaires de la musique de ma bibliothèque (le Larousse et le Bordas, ce dernier rédigé par le grand musicologue Marc Honegger) ne m’a pas appris grand-chose de plus, sinon qu’il faut aller à l’entrée « Johann Wenzel Kalliwoda » (nom allemand) dans ce dernier, et à l’entrée « Jan Křtitel Václav Kalivoda » (nom tchèque) dans le premier. La fiche Wikipédia est beaucoup plus complète, et j’invite ceux de mes lecteurs qui souhaiteraient approfondir, à la consulter. Elle est vraiment très bien faite. J’y apprends notamment que Kalliwoda, compositeur très prolifique (450 pièces réparties en 244 opus), a été complètement occulté de son vivant par ses contemporains, notamment Robert Schumann. Sa musique n’était peut-être pas assez proche des canons du romantisme, tels que les concevait Schumann. En effet il avait choisi d’être au service du prince de Fürstenberg, dont il était le maître de chapelle à la cour de Donaueschingen (« les sources du Danube »). Il était donc un « musicien de cour », comme le jeune Mozart avant qu’il ne s’émancipe de la tutelle du prince-archevêque Colloredo, ou comme Haydn à la cour du prince Esterházy, avant son installation définitive à Vienne. En clair, une carrière de musicien à l’ancienne, peu faite pour intéresser quelqu’un comme Schumann.

De nos jours, on ne peut pas dire que la musique de Kalliwoda soit très jouée. L’interprétation de ses trois quatuors par les Talich est une des très rares traces enregistrées de sa musique. Après les avoir écoutés tous les trois, je trouve qu’il est dommage que ce compositeur ne soit pas plus connu. Je remercie encore La dolce Volta de me l’avoir fait connaître. Il faut en effet bien de l’audace éditoriale pour permettre à un quatuor célèbre d’enregistrer de telles raretés.



Dr C. Thomsen, mars 2020

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