Ces dernières années nous avons vu fleurir de nombreux néologismes, ainsi qu’une foule de nouveaux acronymes, dont le dernier en date, Covid-19, hésite entre le masculin et le féminin, entre le nom d’une maladie (ce qu’il est) et celui d’un virus (ce qu’il n’est pas). Il va, hélas, falloir s’habituer maintenant à de nouveaux pléonasmes, comme le pénible « au jour d’aujourd’hui ». Mais le dernier en date, « islamisme radical », me semble poser un réel problème.
Tout le monde connaît l’islam, religion monothéiste pratiquée par 1,8 milliard de musulmans, soit 24% de la population mondiale. L’islam, qui se veut être une religion tolérante, ce dont je ne doute pas un seul instant (encore que, n’ayant pas lu le Coran, je ne puisse pas me faire une opinion personnelle sur la question), connaît malheureusement une dérive radicale, l’islam radical ou islamisme, responsable de nombreux attentats djihadistes de par le monde, et notamment en France. Numériquement ce sont les musulmans qui paient le plus lourd tribut aux attentats islamistes.
Il existerait de surcroît une mouvance islamique plus terrible que l’islam radical, plus radicale que l’islamisme ? Il existerait donc un « islamisme radical » ?
La réponse est : non. Il n’est nullement besoin d’imaginer un islamisme radical ; islam radical ou islamisme suffisent à nommer cette déviance mortifère de l’islam. Ceux qui utilisent cette expression, ce pléonasme, le font, sans aucune arrière-pensée, pour désigner l’islamisme, autrement dit l’islam radical.
Ces jours-ci l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, homme de grande pondération, qui, selon ses propres termes, recherche toujours quand il s’exprime publiquement le mot juste, le vocable le plus adapté à sa pensée du moment, celui qui ne provoquera pas de polémique stérile, n’a cessé de parler d’islamisme radical sur le plateau de la sympathique émission C à vous. Une question lui avait été posée par la sémillante Anne-Élisabeth Lemoine, qui contenait cette expression fautive à propos de l’islamisme. Je pensais que Bernard Cazeneuve était trop policé pour reprendre l’auteure de cette question. Mais je me trompais : dans sa réponse, il a évoqué à de multiples reprises l’islamisme radical, sans jamais employer ni islam radical ni islamisme. Et je ne pense pas qu’il ait commis cette erreur pour ne pas froisser son interlocutrice.
Tout ceci pourrait paraître anecdotique, car il ne viendrait à l’idée de personne de soupçonner Bernard Cazeneuve de faire le fameux « amalgame » entre islam et islamisme. Mais un esprit vétilleux et malveillant pourrait penser que celui qui utilise, bien à tort, l’expression « islamisme radical » au lieu d’islam radical, fait un amalgame implicite entre islam et islamisme, puisqu’il emploie celui-ci à la place de celui-là.
Peut-être est-ce le moment de citer Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », ce dont le monde n’a vraiment pas besoin par ces temps de pandémie.
L’expression « islam des Lumières » est souvent employée ces temps-ci, notamment par le Président de la République, pour désigner un islam de France progressiste et libéral, débarrassé de sa tutelle étrangère. Un islam en quelque sorte occidentalisé, parfaitement compatible avec les valeurs de la République française.
Il semblerait que cette expression soit de création récente. En effet un article de Courrier international daté du 23 octobre 2020 donne quelques éclaircissements sur ce concept d’islam des Lumières, qui daterait de 1991. Il proviendrait d’un commentaire en langue française du philosophe marocain Mohammed Allal Sinaceur sur l’œuvre de Jacques Bergue, islamologue, entre autres compétences, et traducteur du Coran, qui parlait de « Coran des Lumières ».
Malek Chebel, anthropologue et intellectuel franco-algérien, a publié en 2004 Le Manifeste pour un Islam des Lumières. 27 propositions pour réformer l’islam.
En attendant que l’islam des Lumières n’advienne, l’islamisme peut être interprété comme un « islam des Ténèbres », tout à la gloire de l’obscurantisme.
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