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Christian Thomsen

Journal du temps de l’épidémie (31)

Vendredi 24 avril, fin de la sixième semaine de confinement

Premières images de la nouvelle chanson des Rolling Stones, intitulée Living in a ghost town (Vivre dans une ville fantôme). Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette chanson a été écrite bien avant le confinement, en 2019, et enregistrée à Los Angeles la même année. Elle était destinée au nouvel album du groupe que les fans attendaient depuis A bigger band sorti en 2005. Au vu des circonstances, les Stones ont décidé de la sortir de manière anticipée. Le clip montre des images actuelles de grandes villes confinées, notamment Londres. M. et moi avons eu la chance de voir les Stones déjà trois fois sur scène. Leurs spectacles sont réellement impressionnants de punch et de vitalité, surtout quand on pense à leur âge : les deux leaders du groupe sont nés en 1943 ! Ils ont consommé tellement de substances illicites durant leur longue carrière qu’on se demande comment ils tiennent encore debout. Et pourtant, ça déménage…

La réouverture des écoles continue de diviser le pays. Un sondage indique que deux sondés sur trois estiment que c’est une mauvaise décision. La plupart des sondés pensent que cette mesure a été prise pour permettre aux parents de retourner au travail, et non pas pour les raisons de justice sociale avancées par le Président (permettre de rescolariser les enfants défavorisés et décrocheurs). Près de la moitié des parents n’enverront pas leurs enfants à l’école, profitant du fait que le retour en classe se fera sur la base du volontariat (celui des parents, pas des enfants).

Quant aux Allemands, ils n’ont même pas supprimé l’équivalent du bac, l’Abitur, que les élèves sont en train de passer. Trop forts, ces Allemands…

Justement, revenons un instant sur quelques éléments de cette supériorité, d’autant que l’épidémie semble redémarrer chez eux. Il est indiscutable qu’ils déplorent environ 5 fois moins de décès que nous, et qu’ils pratiquent 10 fois plus de tests. J’entends dire à ce sujet que notre retard serait en partie dû à des tracasseries administratives dont nous sommes coutumiers. C’est bien possible !

En revanche, le différentiel entre leur nombre de lits de réanimation (plus de 20 000) et le nôtre (autour de 5000) s’expliquerait par une façon différente de compter ces lits. Les Allemands compteraient tous les lits équipés d’un respirateur artificiel. Si nous comptons les nôtres de la même façon, nous arrivons au chiffre de 18 800, en additionnant les lits de réanimation, de soins intensifs, de surveillance continue (les trois niveaux de la réanimation en France), auxquels on peut ajouter les places de salle de réveil (les SSPI). Autre différence, les trois quarts de lits disponibles en Allemagne se trouvent dans le secteur privé, alors que chez nous c’est l’inverse.

Mais ce que reconnaissent la plupart des médecins qui s’expriment dans les médias, c’est l’extraordinaire mobilisation des soignants et des médecins pour faire face à la crise sanitaire, de sorte que notre système de santé a tenu le choc. Ce que tous les médecins hospitaliers espèrent, c’est qu’on tirera de cette expérience la conclusion que les hôpitaux fonctionnent mieux quand ce sont les médecins qui sont aux commandes, plutôt que des administratifs en surnombre.

Un point noir cependant chez nos voisins allemands : s’ils manquent d’autant moins de matériel qu’ils en fabriquent, ils n’ont pas assez de personnel pour faire fonctionner cette belle mécanique. Nobody’s perfect !

Aux États-Unis, le bilan est de plus en plus lourd : 50 000 décès (dont 3176 pour la seule journée d’hier), et 28 millions de chômeurs. Et malgré ce bilan catastrophique, certains gouverneurs, comme ceux de la Géorgie, du Texas ou du Vermont, décident de lever le confinement dans leur état. Trump, qui appelait il y a quelques jours, à « libérer » certains états démocrates confinés, demande maintenant à ces gouverneurs (je suppose qu’ils sont républicains) de rétablir le confinement dans leurs états respectifs. Décidemment, la mentalité américaine, fondée sur la valeur suprême de la liberté, qui autorise chacun à faire absolument tout ce qu’il veut du moment que ce n’est pas strictement illégal, me reste étrangère. Une journaliste franco-américaine qui partage son temps entre les deux pays expliquait au début de notre confinement que, pour un Américain, il serait totalement inconcevable d’avoir besoin d’une autorisation pour sortir de chez soi. Je ne pourrais vraiment pas vivre dans ce pays que je n’ai même pas envie de découvrir tellement sa culture me déplaît.

Restons quelques instants chez les Américains. Donald Trump vient de se surpasser dans le ridicule. Il faut dire que le Dr Fauci, son conseiller médical qui n’hésite jamais à le contredire en public, était absent. Apparemment il venait d’entendre parler d’une étude qui indiquait que les UVC et l’eau de Javel étaient efficaces contre le virus. Il a alors proposé en direct, à la consternation de ses conseillers, d’utiliser des sortes d’éclairs d’UV qui traverseraient le corps, débarrassant ce qu’il en resterait du coronavirus. Mais, comme son ingéniosité est sans limite, il a également proposé d’injecter de l’eau de Javel sous la peau, ou encore de l’introduire directement dans les poumons en la buvant ! On imagine les drames sanitaires à venir si des électeurs de Trump, le prenant au mot, se mettaient à ingérer de l’eau de Javel. Je n’apprécie pas spécialement les Américains, mais je pense qu’aucun peuple ne mérite un dirigeant pareil.

Joe Biden, le candidat démocrate à l’élection présidentielle, s’est amusé à dire que jamais il n’aurait imaginé devoir dire un jour à ses compatriotes de ne pas boire de l’eau de Javel… Le député européen et journaliste Bernard Guetta, qui avait déjà traité Trump de « crétin » (ce qu’il dit avoir ensuite regretté, car il faut savoir rester courtois quand on s’exprime publiquement), nous dit que, en définitive, crétin est encore trop gentil pour un pareil pitre, le pire dirigeant qu’une démocratie ait jamais mis à sa tête.

Quelques mots sur cette extraordinaire minisérie, Dérapages, dont Arte a diffusé hier les trois premiers épisodes sur six.

Cette première partie peut se résumer comme suit : Alain Delambre, ancien DRH dans une PME, est un quinquagénaire (il a « entre 50 et 60 ans ») au chômage depuis six ans, donc particulièrement difficile à recaser. Il vit de petits boulots, mais garde l’espoir fou de retrouver du travail, avec une motivation intacte. En attendant un très hypothétique vrai boulot, il subit régulièrement des humiliations qui le font basculer dans l’irascibilité et la violence, au point de donner un méchant coup de boule à son contremaitre puis à son gendre, et de se couper de sa famille qui ne le comprend plus et à qui il fait peur. Il reçoit un jour une proposition qui va le motiver comme un fou, même si ce qu’on lui demande horrifie son épouse. Il s’agit de tester, lors d’un simulacre de prise d’otages, les nerfs et la fidélité à leur entreprise de cadres d’une multinationale destinés à licencier massivement dans une usine du groupe. Delambre fait partie des candidats au poste de recruteur, chargés d’interroger les otages. La veille du jeu de rôles, il apprend que les dés sont pipés, et que le poste qu’il convoite, et pour lequel il s’est lourdement endetté, est promis à quelqu’un d’autre. Il décide alors de transformer le jeu de rôle, déjà très violent en soi, en une véritable prise d’otages, avec lui-même dans le rôle du preneur d’otages. La soirée se termine avec son arrestation par le RAID.

C’est Éric Cantona qui interprète, de manière vraiment magistrale, le rôle d’Alain Delambre. Dans une interview Cantona explique que le réalisateur, ignorant tout du monde du football et donc qu’il avait été une star du football, le King du Manchester United de la grande époque, l’avait choisi sur photos. Le film est entrecoupé de scènes de prison dans lesquelles Alain Delambre, méconnaissable avec son crâne rasé, filmé en gros plan où l’on ne voit que son visage, explique au téléspectateur, avec sa diction inimitable, comment la violence l’a envahi petit à petit, sans qu’il ne puisse rien faire pour la contrôler.

Il s’agit d’une adaptation par lui-même du roman social de Pierre Lemaitre, Cadres noirs, qui s’inspirait d’un fait divers authentique. C’est la troisième adaptation d’un roman de Pierre Lemaitre que j’ai l’occasion de voir, après le très beau film récent Trois jours et une vie, et surtout l’extraordinaire Au revoir là-haut, réalisé et interprété par le génial (n’ayons pas peur des mots) Albert Dupontel, dont je suis un fan absolu. Tout ce qu’il fait, comme acteur ou comme réalisateur, touche au sublime. C’est toujours totalement maîtrisé et à chaque fois très différent de ce qu’il avait fait jusque-là. Chapeau l’artiste.

Il va vraiment falloir que je lise ce romancier, qui est né un mois après moi, et qui dit quelque chose qui me touche beaucoup : il considère son travail d’écrivain comme « un exercice permanent d’admiration littéraire ». Je ne demande qu’à entrer en admiration pour son œuvre.


Samedi 25 avril, sixième week-end de confinement

Les Carnets de la drôle de guerre de ce vendredi évoquent le sujet de « l’utilité commune » comme base de la rémunération. « Alors que la crise du Covid-19 révèle que les professions qui sont « sur le front » sont souvent les moins bien rémunérées, est-il envisageable d’asseoir l’échelle des salaires sur la base de « l’utilité commune  » ? C’est l’hypothèse « révolutionnaire » émise par le président de la République Emmanuel Macron lors de sa dernière allocution télévisée. « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. », a-t-il dit en effet le 13 avril, ce qui n’a pas manqué de surprendre de la part de qui a toujours valorisé la réussite individuelle. Emmanuel Macron « a fait valoir qu’à l’avenir il faudrait revaloriser ces métiers souvent jugés subalternes et pourtant essentiels. » Il faisait allusion à tous ces travailleurs mal rémunérés qu’il a qualifiés de « deuxième ligne » dans la lutte contre le coronavirus, la première ligne étant représentée par les soignants au sens large du terme.


Le philosophe Vincent Valentin revient sur l’origine d’un principe inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et s’interroge sur la possibilité de son application aujourd’hui. « L’utilité commune souffre cependant d’une grande indétermination. C’est un peu une coquille vide. Le concept d’utilité trouvera un peu plus tard, avec le mouvement utilitariste initié par des penseurs comme Jeremy Bentham puis John Stuart Mill, un sens plus resserré avec l’idée que le calcul des plaisirs et des peines d’une collectivité doit être le critère central de la politique. En définitive, la notion d’utilité ne vaut que par ce à quoi elle s’oppose. Par exemple à une conception de la justice déliée de toute utilité, précisément. »

Notre philosophe du jour poursuit sa démonstration : « De fait, la révolution n’entendait pas accoucher d’une société dont les distinctions disparaissent. Par ailleurs, en suivant Tocqueville on pourrait même considérer que l’égalité exacerbe le goût des distinctions, qu’elle légitime la concurrence des talents. Égaux, les individus conservent le goût des honneurs et des hiérarchies. La Révolution a d’ailleurs créé douze fois plus de distinctions honorifiques que la monarchie en cinq siècles ! Et que l’on pense aux récompenses scolaires, aux prix scientifiques ou littéraires, aux compétitions sportives… Loin de lui être opposée, l’égalité démocratique appelle donc la distinction des individus. Conscients de la tension entre les deux valeurs fondatrices du nouveau régime, la liberté et l’égalité, les auteurs de la Déclaration ont fixé un cadre de conciliation, en affirmant la légitimité des distinctions et la nécessité de les justifier. Cela appelait un débat fondamental – quelles sont les inégalités sociales utiles et justifiées ? – qui pourtant n’a jamais eu vraiment lieu. »

Vincent Valentin se demande ensuite si ce débat, esquivé en 1789, pourrait avoir lieu en 2020. Cette indétermination laisse la porte ouverte à toutes les interprétations, éventuellement contradictoires. « Les économistes libéraux plaident pour l’économie de marché en arguant qu’elle produit des richesses qui améliorent la situation générale de tous les membres de la société, par le surplus d’activité engendrée, créant davantage d’emplois et satisfaisant davantage de besoins qu’une économie étatisée. Mais leurs adversaires se réfèrent à l’utilité commune pour appeler à la suppression ou à la redistribution de la propriété privée. »

Qu’en est-il pour Emmanuel Macron et la « théorie du ruissellement » qu’il mettait en avant il n’y pas si longtemps ? La réussite des « premiers de cordée » était censée être utile à tous les autres membres de la cordée. Mais le contexte de la crise du Covid-19 lui donne une toute autre couleur. « Notre pays, aujourd’hui, tient tout entier, a affirmé le président, sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Cette formule laisse entendre « que l’échelle des rémunérations dans la société française ne correspond définitivement pas à l’utilité commune, pourtant inscrite dans la Déclaration de 1798. »

Mettre ce principe en application serait un chantier titanesque. « Si l’utilité commune était autre chose qu’une incantation rhétorique, si l’on était réellement désireux que les salaires correspondent à une définition publique de l’utilité commune, cela impliquerait une rupture avec les principes du libéralisme garantis par le droit, comme la liberté du travail et le droit de propriété. »

Et ce serait une véritable révolution : « On peut moralement désapprouver qu’un animateur télé, un notaire ou un sportif gagne tellement plus qu’un infirmier ou un enseignant. Mais ces inégalités correspondent aux principes fondateurs de notre ordre politique et social libéral. Aussi leur remise en cause impliquerait-elle une véritable « révolution », axée sur l’idée d’une justice distributive. Selon un principe d’égalité proportionnelle, on attribuerait un salaire à chacun selon son mérite – un mérite, notons-le, qui devrait être calculé moins par l’effort fourni que par l’apport effectif à la société. Et c’est en réalité toute l’échelle des rémunérations – dans l’entreprise comme dans l’administration – qui devrait alors faire l’objet d’un accord sur l’apport de chaque activité à l’utilité commune. Voici une ambition titanesque, un défi encore jamais relevé ! »

Il est peu probable qu’Emmanuel Macron s’attelle à ce défi et à cette révolution.

Je profite de cette occasion pour expliquer pourquoi, selon moi, certains sportifs comme les footballeurs sont beaucoup mieux payés que d’autres, comme les handballeurs, et infiniment plus que n’importe lequel des supporters qui, pourtant, s’indignent des salaires mirifiques des grands patrons. Tout le monde conviendra aisément qu’il est au moins aussi difficile d’être un bon handballeur qu’un bon footballeur. Il n’existe donc pas, dans le sport, de rémunération au mérite, si ce n’est à l’intérieur d’un même sport. En fait les sportifs sont payés à proportion du rêve qu’ils procurent à leurs supporters, et qui représente une source considérable de revenus pour toute la filière qui les emploie. Or il se trouve que les résultats de l’ équipe de France de handball en termes de titres internationaux sont infiniment supérieurs à ceux de l’équipe de France de football. Les handballeurs français ont donc objectivement beaucoup plus de raisons de faire rêver les Français que leurs homologues footballeurs. Mais il se trouve que, dans notre pays et dans bien d’autres aussi, le football est infiniment plus populaire que le handball. Le football fait peut-être moins rêver chez nous, mais ses rêveurs sont infiniment plus nombreux.

Lors de la dernière coupe du monde féminine de football, la charismatique capitaine de l’équipe américaine, militante LGBT, plaidait pour une égalité de rémunération des femmes avec les hommes. Elle rêvait !

Il est cependant un sport qui pratique dans certaines circonstances cette égalité homme/femme, et c’est le tennis. Les gains du tournoi de Roland Garros sont les mêmes chez les garçons et chez les filles. Je ne voudrais pas être déplaisant pour les joueuses de tennis, mais quel amateur de tennis accepterait que la finale homme se joue le samedi, et celle des femmes le dimanche ? Aucun, j’en suis certain. Le tennis féminin est infiniment moins médiatique que le tennis masculin. C’est un fait incontestable, même si certain(e)s le regrettent.

Et pourtant, quand je développe cet argument, je passe en général pour un horrible macho. C’est à n’y rie, comprendre.

Je relis Le Monde d’hier, cette magnifique peinture de ce que la civilisation européenne a produit de meilleur avant l’arrivée des nazis au pouvoir, écrit par l’exilé Stefan Zweig avant qu’il ne se donne la mort avec sa seconde épouse au Brésil où il avait trouvé un refuge provisoire dans sa fuite désespérée devant le mal absolu. J’éprouve à cette relecture le même sentiment d’admiration mêlée de nostalgie que lors de la première lecture, il y a à peu près trente ans.

Je tombe sur un paragraphe dans lequel Zweig explique le succès de ses livres, qu’il n’avait pas vu venir, par le fait qu’il allège son écriture de tout ce qui lui semble superflu, adoptant (c’est moi qui le dit, pas lui) l’adage de Saint-Exupéry selon lequel la perfection est obtenue non pas quand le créateur n’a plus rien à ajouter, mais quand il n’a plus rien à retrancher. Zweig, toujours modeste, ne parle pas de perfection, mais explique pourquoi, selon lui, ses livres sont plaisants à lire, et ont donc tant de succès. Je rappelle que dans les années 1930, Zweig était l’écrivain le plus traduit dans le monde.

Il nous dit que même dans les plus grands chefs-d’œuvre il est parfois gêné par des passages « sablonneux et trainants ». Et il a imaginé un moment proposer à son éditeur de « publier en une série synoptique toute la littérature mondiale depuis Homère jusqu’à La Montagne magique, en passant par Balzac et Dostoïevski, en supprimant radicalement tout le superflu qui encombre chacun de ces livres… » Quelle étrange idée de supprimer tout ce qui fait la particularité d’un écrivain ! Que serait Homère sans ses épithètes ? L’Aurore n’aurait plus des «  doigts de rose ». Que deviendrait Balzac sans ses descriptions, Thomas Mann sans ses lourdeurs, et Proust sans ses digressions ? Et d’ailleurs, presque tout dans Proust pourrait être considéré comme superflu, alors que tout y est en réalité essentiel.

Mais en fait cette idée d’aller à l’essentiel d’une œuvre est mise en pratique chaque fois qu’un cinéaste prend le risque d’adapter pour le cinéma ou la télévision tel ou tel chef-d’œuvre de la littérature mondiale. Pour adapter La Recherche, il faut arriver à se limiter à quelques scènes essentielles, comme Nina Companeez l’a fait avec À la recherche du temps perdu, ou ne relater qu’un seul épisode, comme l’ont fait Volker Schlöndorff avec Un amour de Swann ou Raoul Ruiz avec Le Temps retrouvé. Et j’imagine le crève-cœur que doit être le fait d’avoir à supprimer tel ou tel épisode aimé du roman.

Et, à propos d’adaptation cinématographique, M. et moi avons regardé un très beau film, Le Mystère Henri Pick. Cela raconte l’histoire d’une supercherie littéraire dont n’est pas dupe, seul contre tout le monde, un critique littéraire qui anime une émission de télévision du genre d’Apostrophes ou de Bouillon de culture. Le Bernard Pivot de service est magnifiquement interprété par Fabrice Lucchini, plus sobre qu’à son habitude. Pour avoir émis publiquement des doutes sur le fait que le remarquable livre incriminé, au succès phénoménal, ait pu être écrit par un pizzaïolo opportunément décédé que sa femme n’avait jamais vu lire un livre, notre héros va perdre son boulot, sa femme et l’estime de la plupart de ses amis. Il en devient obsédé par l’idée de démontrer la supercherie, ce qu’il va réussir à faire, d’une manière très inattendue.

Ce film est l’adaptation d’un livre de David Foenkinos, dont je n’ai encore rien lu, n’étant pas très attiré par les romans contemporains. J’ai sûrement tort. Mais je crains toujours, avec les écrivains actuels, de tomber sur un style relâché, à mi-chemin de l’écrit et de l’oral, bref, ce qui plaît probablement au lecteur de base. Je m’aperçois que ce que j’écris est peut-être un peu trop élitiste. J’assume.

J’ai vu également un autre très joli film a été tiré d’un roman à succès de cet écrivain, La délicatesse. Et un autre film qui m’a beaucoup plu, réalisé par les frères Foenkinos, Jalouse, dans lequel Karin Viard nous gratifie de toute l’étendue de son immense talent.

Dimanche 26 avril

Ce week-end M. et moi aurions dû être à Marseille pour le Congrès du GEM, le Groupement des écrivains-médecins, dont je suis membre grâce à mon blog, bien que je n’aie encore publié aucun livre. Cela viendra peut-être un jour… J’étais censé faire un exposé sur deux écrivains-médecins britanniques, Conan Doyle et Somerset Maugham. C’est en principe reporté en octobre. En attendant, je tiens ce Journal, que je compte interrompre à la fin du 2ème mois, quelques jours après le déconfinement. Il y aura sûrement plein de choses à raconter après le 17 mai, mais il faut savoir s’arrêter. Mais il se peut aussi que d’ici-là j’aie changé d’avis !

La journée commence sous la grisaille, qui se dissipe vers midi pour nous permettre de déjeuner dehors, avec la compagnie des oiseaux qui chantent sans se montrer à nous.

Les Carnets de la drôle de guerre d’hier se penchent sur la question de la vieillesse. « Qui est vieux ? » Que signifie « être vieux » ? C’est Catherine Portevin qui tente de répondre à cette question devenue en période d’épidémie plus essentielle qu’existentielle.


« La vieillesse a quelque peu besoin d’être traitée plus tendrement ».

Catherine Portevin nous rappelle que Montaigne, l’auteur de cette citation, n’a que « 38 ans lorsqu’il quitte « l’embesognement » de la vie publique et se retire dans son château d’Eyquem pour y couler les jours du reste de sa vie parmi les livres de sa bibliothèque. Telle est la vieillesse en 1571 ».

Elle poursuit sa démonstration : « Quand on est considéré sur le déclin de sa carrière à 50 ans, quand une réforme des retraites exigerait que nous restions productifs jusqu’à 70 ans, quand on appelle « maladie de vieux » un virus dont les victimes sont à 74% âgés de plus de 75 ans, quand, enfin, on envisage de prolonger le confinement des plus de 65 ans au nom de leur propre protection (mesure en principe abandonnée), tous les jeunes et vieux schnock sont fondés à y perdre leur latin, et à demander enfin : Qui est vieux ? »

« Si la vieillesse n’est pas une question d’âge, c’est une question de quoi ? Excellent question !

La première évidence que nous impose cette pandémie est qu’elle serait une question de fragilité physique irrémédiable. De ce point de vue, le dualisme de Descartes a du bon. Tandis que l’âme, elle, « pense toujours » et sans sénescence, seul le corps vieillit, disait-il.

En espérant avec raison que les progrès de la médecine feront reculer  l’affaiblissement de la vieillesse, Descartes fait de celle-ci un problème physiologique, nullement philosophique, encore moins social et politique comme aujourd’hui. (…) L’Académie nationale de médecine l’a rappelé récemment en refusant le critère de l’âge pour un déconfinement ciblé, pour prôner des critères physiologiques, cliniques et fonctionnels. »

« La faiblesse de la vieillesse, ainsi que le soin et le soutien qu’elle est en droit d’attendre de la communauté, est bien ce qu’évoque aussi cette expression vaguement condescendante qui fleurit dans les discours publics pour désigner les victimes privilégiées du Covid-19 : nos aînés. On peut n’y entendre qu’un de ces euphémismes dont est friande la novlangue managériale : on dit senior, et maintenant nos aînés, pour ne pas dire nos vieux dans une société vieillissante et obsédée de jeunesse. »

Bien entendu le problème se pose pour M. et moi. Elle vient d’avoir 73 ans, et bien qu’elle paraisse nettement plus jeune que moi malgré nos quatre ans d’écart, le fait est là, elle appartient à la catégorie des gens que l’on considère comme vieux parce qu’elle a dépassé la barre des 70 ans, que je n’atteindrai que l’année prochaine. Mais mon problème est un peu différent du sien puisque je travaille toujours, sans aucune restriction liée à mon âge par rapport à mes deux collègues. Par exemple, nous prenons tous les mois le même nombre de garde. Mes deux jeunes collègues, qui ont l’âge d’être mes fils, ne me considèrent à l’évidence pas comme un vieux. Et je fais tout pour leur donner raison…


Abbaye de Saint-Benoît sur Loire

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