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Christian Thomsen

Journal du temps de l’épidémie (39)

Dernière mise à jour : 12 sept. 2020


Quelques infos en vrac : le Festival de Cannes aurait dû commencer hier. C’est peut-être la plus emblématique des manifestations culturelles déprogrammées.

Certaines plages vont être autorisées à rouvrir, en mode « dynamique », c’est-à-dire pour marcher, se baigner, faire du sport, mais pas pour rester sur sa serviette à prendre le soleil.

Les premières plaintes sont déposées à propos de masques de très mauvaise qualité. Ce besoin impérieux de masques de protection aura inspiré bien des escrocs.

Les conseils municipaux élus le 15 mars vont être mis en place. C’est le cas dans ma ville, avec une reconduction de l’ancienne équipe municipale. C’est très important car il est particulièrement difficile pour des équipes qui expédient les affaires courantes (si elles n’ont pas été confirmées) d’initier des projets éventuellement coûteux. Quant au second tour, soit il aura lieu en juin, sans avoir à refaire le premier tour ; soit les deux tours seront organisés à l’automne. Si c’est en juin, il y aura vraisemblablement une « prime au sortant », en remerciement du travail effectué par toutes les équipes municipales pendant cette période difficile.


Le nombre de patients sortis guéris de l’hôpital est de 57 785.

Les Carnets de la drôle de guerre prennent fin aujourd’hui avec le numéro 50. Et, pour rester sous le patronage de Jean-Paul Sartre, ils feront place à une lettre hebdomadaire intitulée Les chemins de la liberté. Nul doute que je prendrai un grand plaisir à la lire.

En attendant, je cite un extrait de ce dernier éditorial collectif, qui concerne Jean-Paul Sartre, mobilisé de septembre 1939 à juin 1940, dans l’attente d’un ennemi qui a fini par contourner l’obstacle, et qui a écrit dans ses Carnets de la drôle de guerre : « La guerre n'est pas le choléra. C'est un fait humain, créé par des volontés libres. Il est impossible de le considérer comme une maladie douloureuse contre laquelle le stoïcisme simple est de rigueur. »

L’éditorial précise que « le Covid-19 n’est pas exactement le choléra au sens où l’entendait Sartre, car les décisions humaines, celles des gouvernants et celles que nous prenons chaque jour, modifient le destin de la pandémie et le nôtre.

C’est pourquoi cette maladie pose des questions éthiques, politiques, existentielles inédites. »

Dans la livraison de lundi dernier un test était proposé aux lecteurs sur le thème « quel type de déconfiné êtes-vous ? » Je me suis amusé à le faire, étonné de ne pas savoir quand seraient connus les résultats.

Plus de 2500 lecteurs ont répondu aux douze questions du test, ce qui donne les résultats suivants :

  • Trente-trois pour cent des personnes qui se sont amusées à faire le test sont nostalgiques d’une expérience spirituelle unique, telle que la conçoit Françoise Dastur, qui souhaite que le confinement soit aussi « une prise de conscience d’un monde qui va trop vite, qui exploite trop, un voyage intérieur qui nous redonne le goût de la lecture, des activités manuelles et artistiques, bref d’un rapport plus profond au temps et au monde. »

  • Vingt-quatre pour cent s’inquiètent, avec Francis Wolff, du risque de deuxième vague. Ce philosophe humaniste « se réjouit que de nombreux dirigeants mondiaux aient placé la vie humaine avant la performance économique. Il est très prudent face au déconfinement et craint que notre goût de la liberté retrouvée ne provoque une deuxième vague de contamination. »

  • Vingt-quatre pour cent adhèrent à la vision de Claire Marin, qui insiste sur « l’expérience douloureuse qu’a représenté ce confinement. Il a mis en évidence l’importance du lien humain dans nos existences. »

  • Seuls dix-neuf pour cent sont d’accord avec la position d’André Comte-Sponville, heureux de retrouver sa liberté et se battant pour qu’on ne poursuive pas de force le confinement des personnes âgées. Selon lui, la liberté « ne doit pas souffrir d’une logique du tout-sanitaire qui a régné durant ce confinement. Chacun d’entre nous doit demeurer responsable de sa propre position, et donc refuser, s’il le désire, des règles qui restreignent la liberté. »

Je rappelle que je me suis rangé clairement derrière cette bannière manifestement minoritaire, sans approuver pour autant le non-respect des mesures barrière qui pourrait être vecteur de propagation de l'épidémie.

D’autres pourcentages intéressants nous sont proposés, comme ceux-ci :

  • 51% ont compris, grâce à la pandémie, qu’ils vivent dans un monde consumériste absurde.

  • 47% prendront le risque d’étreindre la personne aimée.

  • 40% se demandent s’ils vont remettre leurs enfants à l’école.

  • 38% vont continuer le télétravail, mais 36% sont heureux de retrouver physiquement leurs collègues.

  • 32% pensent que la crise leur a ouvert les yeux sur l’inanité de la mondialisation libérale.

  • 28% seulement sont favorables à l’application StopCovid, dont on rappelle qu’elle n’est pas entrée en vigueur, et qu’elle ne le sera peut-être pas. Mais il se pourrait que les mêmes personnes regrettent que nous n’ayons pas les mêmes performances que les pays asiatiques dans la lutte contre la pandémie, résultats obtenus en grande partie par des moyens de surveillance électronique beaucoup plus coercitifs que StopCovid.

C à vous, l’émission quotidienne de la 5, a invité hier sur son plateau le sénateur de l’Allier Claude Malhuret, qui a fait à la tribune du Sénat une intervention très remarquée car pleine d’humour sur les experts autoproclamés, qui se recrutent notamment parmi le personnel politique. Il s’est moqué gentiment de son collègue le sénateur Mélenchon, qu’il appelle le « Pr Mélenchon de la faculté de médecine de la Havane », lequel, lors de l’intervention au Sénat du Premier ministre, avait pointé vers celui-ci un index accusateur en lui disant en substance : « il y aura bien une deuxième vague, et vous le savez parfaitement ». Le seul problème, c’est que même les vrais experts, qu’ils soient épidémiologistes, infectiologues ou encore virologues, n’en savent strictement rien. La plupart ont l’honnêteté de le reconnaitre, d’autres pas (n’est-ce pas M. le Pr Raoult ?). Sur le même plateau que Claude Malhuret se trouvait le Pr Juvin, chef du Service des Urgences de l’hôpital Georges Pompidou de Paris, qui reconnaît avec humilité avoir, dans cette même émission, dit tout et son contraire, notamment sur le port du masque, parce que le discours scientifique sur le sujet a beaucoup varié, sans parler du discours gouvernemental.

Cela me rappelle cette jolie formule d’Edgar Faure, que ses adversaires politiques accusaient d’être une girouette : « ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. »

Soixante-trois plaintes ont déjà été déposées contre le premier ministre et plusieurs de ses ministres pour mauvaise gestion de la crise sanitaire. Il y a peu de chances qu’elles aboutissent, car les dossiers doivent être extrêmement solides et documentés. Mais il y a quand même quelques exemples de ministres condamnés par la Cour de Justice de la République, notamment celui que j’ai déjà cité, Edmond Hervé, secrétaire d’état à la Santé lors de l’affaire du sang contaminé. Je rappelle qu’il n’est pas permis de porter plainte contre le Président de la République.

Une jolie histoire de solidarité transatlantique nous est racontée. Elle concerne un événement historique peu connu, celui de l’aide apportée par les Amérindiens aux Irlandais dans les années 1840, pendant une famine provoquée par une maladie de la pomme de terre, qui avait fait à l’époque un million de victimes en Irlande. Les Amérindiens avaient envoyé un peu d’argent (mais beaucoup pour eux) à la communauté irlandaise éprouvée, par solidarité entre peuples opprimés (les Amérindiens par les colons Américains, et les Irlandais par les Anglais). En Irlande un monument célèbre la mémoire de ce très beau geste.

Les Amérindiens actuels, parqués dans leurs réserves où ils vivent dans des conditions souvent très difficiles, paient un lourd tribut au Covid-19, raison pour laquelle ils ont reçu, à leur grande surprise, une importante aide financière en provenance d’Irlande. Là aussi, beau geste…

Jeudi 14 mai, J3 du déconfinement

Les primes promises aux soignants en première ligne dans la lutte contre le coronavirus tardent à être payées, par la faute d’un décret non encore signé. Cette signature devrait intervenir prochainement. Les soignants commencent à s’agacer de cette promesse pas encore tenue (la prime aurait dû être versée à la fin du mois d’avril).

Un plan massif d’aide au tourisme (18 milliards d’euros) est prévu pour ce secteur très impacté par le confinement, qui emploie plus de 2 millions de personnes et qui génère 7% du PIB.

Le chiffre du jour : 58 673 patients guéris. J’espère que nous atteindrons la barre symbolique des 60 000 d’ici dimanche.

C’est la ruée vers les tests sérologiques, que beaucoup de gens se font faire pour se rassurer, bien que le coût en soit assez élevé (40 € dans le reportage). Le problème est que beaucoup de ces tests sont en attente de validation par les autorités compétentes. En région parisienne, 20% de la population ainsi testée aurait des anticorps censés les protéger. Mais sont-ils vraiment protecteurs ? Ce n’est pas encore certain.

En ce qui concerne les vaccins, dont plus d’une centaine sont en cours d’élaboration, une nouvelle polémique pointe le bout de son nez suite aux propos du nouveau directeur de Sanofi, l’Anglais Paul Hudson, qui a affirmé à an site américain Bloomberg que les États-Unis seraient fournis en priorité quand le vaccin de Sanofi sera opérationnel, parce que ce sont eux qui ont le plus investi d’argent dans cette recherche, par le biais d’une agence officielle dont je n’avais jamais entendu parler, le BARDA (Biomedical Advance Research and Development Authority). Et Sanofi réalise la majeure partie de son chiffre d’affaires aux États-Unis. Devant le tollé suscité par ses propos, il a rétropédalé, en affirmant que cette priorité ne concernerait que les lots produits aux États-Unis.

L’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi contre la « cyberhaine ». Elle vise à lutter efficacement contre l’impunité dont jouit la « haine en ligne ». J’applaudis des deux mains. Mais ce projet se heurte à tous les défenseurs de la liberté d’expression. En France, la seule opinion qu’il soit formellement interdit d’exprimer dans l’espace public, depuis la loi Gayssot de 1990, c’est le négationnisme, autrement dit le fait de nier la réalité des camps de concentration et tout ce qui touche à la Shoah. Mais harceler un adolescent sur les réseaux sociaux jusqu’à le pousser parfois au suicide n’est hélas pas encore interdit.

Mon ami E., qui est le webmaster de ce blog et de mes deux sites de terminologie médicale, me donne des nouvelles sanitaires de l’île de la Réunion, dont il est originaire et où il habite depuis plusieurs années. Selon lui, le bilan est bien pire que ce qui est annoncé par les autorités, et la population ne semble pas prête à respecter les règles de sécurité sanitaire.

À l’hôpital mes collègues et moi-même constatons le retour en force des patients. Ils sont plus nombreux à venir pour des problèmes urgents, et ceux dont l’intervention avait été déprogrammée se manifestent. La peur de venir à l’hôpital semble avoir diminué, du moins en partie, grâce à la formule magique : « déconfinement ».

Nous nous heurtons à un problème qui n’était pas prévu, celui du manque de lits. Non seulement des lits ont été reconvertis en « lits Covid », mais les chambres doubles « non Covid » ne peuvent plus accueillir qu’un seul patient. Du coup, même sans avoir rouvert le robinet des interventions programmées, nous sommes dramatiquement à court de lits, ce qui n’arrive qu’exceptionnellement en temps normal. Et quand l’ARS autorisera la reprise de l’activité chirurgicale non urgente, nous aurons à faire face à plusieurs pénuries : de curares, de gants chirurgicaux, de je ne sais quoi encore…

Décidemment, le maître-mot de toute cette période aura été « pénurie ». Et, pour les chirurgiens du service, nous risquons de passer d’une période où nous n’avions pas le droit d’opérer à une autre où ne serons peut-être pas en capacité de le faire. C’est un peu compliqué à vivre. Mais, n’exagérons rien, ce n’est pas la catastrophe dans laquelle se débattent les professionnels qui n’ont pas encore pu reprendre leurs activités, notamment dans le secteur de la restauration.

Bien que les Carnets de la drôle de guerre aient interrompu leurs livraisons hier, j’ai laissé pour aujourd’hui la recension du dernier article consacré à la Chine. C’est le sinologue Cyrille Javary qui répond aux questions d’Octave Larmagnac-Matheron. Selon lui, en fondant son analyse sur le Livre des transformations (Yi Jing), la culture chinoise serait mieux préparée à l’imprévu que celle de l’Occident, habituée aux plans rigoureux et aux perspectives bien définies.

M. est allée dans la zone commerciale faire quelques courses indispensables. Elle revient consternée par l’indiscipline des gens qui se ruent dans certains magasins sans porter de masque ni respecter la distanciation physique. Il est à craindre qu’après deux mois de confinement plutôt bien respecté parce que relativement bien encadré, beaucoup soient pressés d’être libérés de toute contrainte. Et pourtant notre département est classé rouge, et la ville moyenne où nous habitons plutôt du genre tranquille.


Abbaye du Thoronet

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