La médecine est avant tout une affaire de choix, et cela pour les deux parties qui se trouvent en présence, le médecin et son patient.
Pour le médecin cela commence par le choix de devenir médecin. Pour certains c’est une vocation, souvent familiale ; pour d’autres c’est un décision mûrement réfléchie, prise en fonction de critères personnels éminemment variables. Autrefois ce pouvait être pour devenir un notable, ce que les médecins ne sont plus guère, même s’ils restent à peu près respectés par leurs patients. Mais il ne suffit pas de choisir de devenir médecin pour y parvenir. Encore faut-il le vouloir intensément. Chacun le sait ou l’imagine, les études médicales sont difficiles, et la majorité des candidats ne passeront pas le cap de la première année. Pour s’en convaincre il suffit de regarder le très beau film du cinéaste et ancien médecin Thomas Lilti, Première année, qui décrit parfaitement ce parcours du combattant.
Le candidat médecin devra ensuite choisir une spécialité, sachant que la médecine générale est devenue depuis quelques années une spécialité à part entière, au mépris de la logique qui voulait qu’autrefois la définition du généraliste soit précisément de ne pas être un spécialiste (je rappelle ici l’adage qui dit qu’un généraliste doit savoir peu de choses sur presque tout, à savoir toute la médecine, et un spécialiste presque tout sur très peu de choses, en l’occurrence sa spécialité). Le risque est d’avoir à choisir trop tôt, et de passer ainsi à côté d’une spécialité découverte tardivement, qui correspondrait mieux à la personnalité du jeune médecin.
Et ce n’est pas tout. Une fois son diplôme en poche et sa qualification obtenue, il faudra au nouvel impétrant choisir entre deux modes d’exercice très différents, la médecine hospitalière et la médecine libérale, dite aussi médecine de ville. Fort heureusement, depuis plusieurs années des passerelles existent qui permettent de passer d’un type d’exercice à l’autre. Et les médecins qui ont choisi de rester hospitaliers à la fin de leurs études peuvent bénéficier d’un secteur privé, qui compense un salaire inférieur à ce que pourrait être leurs revenus s’ils avaient choisi le secteur libéral. Quand on est hospitalier on peut demander à être muté dans un autre hôpital, alors qu’un médecin libéral aura tendance à faire toute sa carrière là où il s’est installé et fait connaître, car il est très difficile d’abandonner une patientèle constituée au fil des ans pour en créer une nouvelle ailleurs (d’où la difficulté d’obliger les jeunes médecins, comme certains le suggèrent, à exercer quelques années dans un désert médical). Pour les médecins hospitaliers se pose aussi le choix de faire carrière dans un centre hospitalier général, ou de briguer un poste hospitalo-universitaire, qui ne peut s’obtenir qu’en CHU. Là encore, peu d’élus parviennent au graal tant espéré, celui du titre de professeur des universités.
Le dernier choix du médecin, et non le moindre, sera de décider d’arrêter la médecine, autrement dit de pendre sa retraite. Beaucoup de médecins, passionnés par leur métier, éprouvent les pires difficultés à décider de mettre un terme à leur carrière.
Pour le patient aussi le choix intervient en permanence, sauf en cas d’urgence grave. Si vous êtes victime d’un accident de la circulation, les pompiers ne vous laisseront pas le choix de l’endroit où ils vont vous conduire (surtout si vous n’êtes pas en état de parler !). Et si vous vous présentez aux Urgences d’un hôpital pour quelque problème que ce soit, vous serez pris en charge par le médecin de garde, que vous n’aurez pas choisi.
Les patients ont le droit de choisir leur médecin généraliste, et j’avais écrit dans un article de vocabulaire-medical.fr que ce choix se faisait selon des critères assez semblables à ceux qui président, par exemple, au choix d’un coiffeur, (https://www.vocabulaire-medical.fr/encyclopedie/022-client-malade-patient), indiquant par-là que la médecine est aussi une activité commerciale de type « service à la personne », ce qu’ont tendance à refuser de considérer tous ceux pour qui le rôle des médecins est de « sauver des vies », selon la formule magique popularisée pendant le confinement du printemps 2020.
Quand le recours au spécialiste s’impose, là encore les patients ont le choix du praticien à qui ils vont se confier. Pour une prise en charge intégrale (sans « reste à charge »), il faudra que le patient ait une lettre de son médecin traitant (qui a, me semble-t-il, des choses plus importantes à faire que de rédiger des lettres de recommandation). Mais, s’il décide de voir un spécialiste sans passer par son généraliste, il devra s’acquitter d’une « pénalité » de dix euros, destinée à éviter le « nomadisme médical ». Compte tenu de la pénurie générale de médecins, sauf dans les grandes villes, ce nomadisme médical m’a toujours semblé être une vue de l’esprit de nos décideurs parisiens, habitués à la pléthore de médecins dans la capitale. Je signale en passant que, lorsque je me prescrits un examen d’imagerie ou de biologie, je ne suis pas exonéré de cette taxe, même si mes examens sont réalisés dans l’hôpital où j’exerce la chirurgie.
En cas d’intervention chirurgicale, le patient devra décider s’il préfère être opéré en clinique (souvent appelée « hôpital privé » quand elle dépasse la capacité de cent lits), ou à l’hôpital. En clinique, le patient choisit le chirurgien à qui il va se confier ; à l’hôpital c’est plus aléatoire, sauf si le patient décide de voir son spécialiste en privé.
Ce libre choix du patient est un des privilèges offerts par la médecine française. Et je ne suis pas certain que tous les Français soient conscients de cette chance. (Il m’est arrivé de soigner quelques patients américains vivant en France ; il n’en reviennent toujours pas). Mais l’Assurance Maladie ne rembourse pas les transports médicalisés en cas de prise en charge dans une structure très éloignée du domicile du patient. En clair, si un provincial décide de se faire soigner « à la capitale », il en a parfaitement le droit mais en assumera le surcoût.
Contrairement à une idée reçue largement répandue, les médecins ont eux aussi le droit de refuser de soigner un patient, sauf cas d’urgence, auquel cas ce refus serait assimilable à de la non-assistance à personne en danger. L’article R4127-47 du code de la santé publique le dit sans ambiguïté : « hors le cas d'urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d'humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée ». Ce qui veut dire que si un médecin refuse de soigner un patient qui a réellement besoin de soins, il doit le confier à un confrère. Pour ma part je n’ai pas le souvenir d’avoir usé de ce droit, même si cela m’a souvent démangé avec des patients tatillons, ceux-là même avec qui l’on peut prédire que tout sera difficile du début à la fin. Mieux vaut ne pas avoir de complication postopératoire avec ce type de patients !
Supposons maintenant un patient (vous peut-être) assis en face de son médecin, généraliste ou spécialiste, dans son cabinet de consultation, privé ou public. Le travail du médecin va consister, dans un premier temps, à élaborer des hypothèses diagnostiques et à les valider (ou pas) par des examens complémentaires, pour lesquels il devra obtenir le consentement de son patient, lequel a parfaitement le droit de ne pas le donner. Une fois un diagnostic posé, tant bien que mal, le médecin va devoir proposer un ou plusieurs traitements possibles, ou l’abstention thérapeutique dans certains cas, et toujours en tenant compte de la fameuse « balance bénéfice/risque ». Et, là encore, c’est au patient que revient le choix d’accepter ou de refuser ce qui lui est proposé. Et, s’il accepte le traitement, libre à lui de de ne pas le prendre. Cette capacité à suivre les prescriptions médicales s’appelle l’observance, souvent prise en défaut.
Prenons un exemple simple tiré de ma pratique quotidienne, le cas d’un homme qui consulte pour une hernie inguinale, adressé par son médecin traitant en vue d’une intervention. Il s’agit là d’une pathologie parfaitement bénigne, qui peut être symptomatique (présence de douleurs à l’effort) ou asymptomatique. Dans un cas comme dans l’autre la hernie peut s’étrangler à tout moment, nécessitant une intervention en urgence, avec le risque d’avoir à subir une résection du grêle si l’intervention est trop tardive. J’explique tout cela au patient, et conclus en lui disant que seule une intervention (appelée « cure de hernie ») fera disparaître la hernie en question et les inconvénients qui l’accompagnent (symptômes éventuels et risque d’étranglement). Mais je lui précise aussi qu’il peut parfaitement continuer de vivre avec sa hernie, en acceptant le risque d’une intervention en urgence en cas d’étranglement. Je demande alors au patient de me dire s’il choisit de se faire opérer ou de garder sa hernie. Si sa hernie est douloureuse, le choix de se faire opérer lui en sera facilité. Ce qui me frappe à chaque fois, c’est que cette nécessité d’avoir à choisir eux-mêmes met la plupart des patients mal à l’aise. Comme Bartleby le scribe, le héros de Melville, ils « préfèreraient ne pas » avoir à choisir, et que je le fasse à leur place. (Bartleby, employé aux écritures (scribe) chez un notaire de Wall Street, répond invariablement à toutes les demandes qui lui sont formulées par son employeur, I would prefer not to.) « Après tout, c’est vous le spécialiste », me disent-ils souvent Et, quand ils finissent par choisir l’option chirurgicale, ils le font en général avec cette phrase rituelle « de toutes façons, je n’ai pas le choix », alors que, précisément, ils ont le choix ! En ce qui me concerne, quand je constate que le patient a du mal à prendre une décision, je lui dis qu’il a parfaitement le temps d’y réfléchir, et qu’il me recontactera s’il choisit in fine de se faire opérer. Et, chose incroyable, la plupart du temps les hésitants reviennent pour programmer cette intervention qu’ils ont eu tant de mal à choisir d’accepter. Je suis profondément persuadé que le chirurgien obtient de meilleurs résultats postopératoires quand le patient est intimement persuadé qu’il a fait le bon choix. Rien n’est pire qu’un patient qui a l’impression (pas toujours inexacte) qu’on lui a forcé la main.
Mais tous les patients ne font hélas pas les bons choix. J’ai le souvenir précis et ancien d’une patiente qui m’avait été adressée pour un cancer du côlon symptomatique. Elle avait refusé quelques années auparavant la coloscopie qui lui avait été proposée, par crainte du risque de perforation (ce risque existe, mais il est vraiment minime). Devant l’apparition de symptômes invalidants, elle avait fini par accepter l’examen. Quand je lui avais expliqué que seule une intervention pourrait la soulager (en l’occurrence une exérèse de sa tumeur), elle l’avait refusée, arguant que cela ne servirait à rien. Impossible de la convaincre du contraire ! Tout le monde aura compris qu’elle a rapidement fini par mourir de ce cancer délibérément non traité.
Que peut faire le médecin devant ces mauvais choix ? Il lui est interdit d’imposer quoi que ce soit à ses patients, sauf dans certains cas, comme l’hospitalisation d’office en psychiatrie de patients dangereux pour eux-mêmes ou pour la communauté, ou lorsque les choix des parents mettent en péril la vie de leur enfant (cas du refus de la transfusion chez les Témoins de Jéhovah). Il ne reste donc au médecin que d’essayer, par tous les moyens à sa disposition, de convaincre son patient que son choix le met en danger. Autrement dit, il faut que son patient arrive à lui faire confiance.
Rappelons ici le cas, particulièrement éclairant, de Steve Jobs, le fondateur d’Apple, qui était atteint d’une variété particulière de cancer du pancréas, moins grave que la forme commune, et qui aurait pu être guéri par une intervention chirurgicale. Il a fait alors le choix de faire confiance à un gourou, adepte d’une quelconque « médecine naturelle ». Quand, au bout de plusieurs mois, il a fini par se rendre compte de son erreur et par accepter l’intervention préalablement refusée, il était trop tard, celle-ci n’était plus réalisable. Et, bien entendu, il est mort de son cancer du pancréas, à seulement cinquante-six ans, il y a dix ans déjà. Comme quoi même des esprits particulièrement brillants ne sont pas à l’abri de faire des choix absurdes pour leur santé.
Si j’ai choisi d’aborder aujourd’hui ce sujet, c’est que je viens, à tout juste 70 ans, de faire un choix important pour mon activité chirurgicale, celui de ne plus prendre de gardes, qui faisait partie de mon quotidien depuis plus de quarante ans. La chirurgie d’urgence devenait trop stressante pour moi, et il était temps que j’y renonce, à la grande satisfaction de mon épouse qui trouvait que je n’avais plus vraiment l’âge d’opérer la nuit. Une page se tourne, sans nostalgie aucune. La prochaine, ce sera la retraite définitive. Mais je ne suis pas pressé…
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