Chapitre 4 : chez le gastro-entérologue
Claude L. a obtenu un rendez-vous assez rapide avec le gastro-entérologue qui avait déjà procédé à sa polypectomie endoscopique deux ans auparavant, le Dr Jacques B. Il a le même âge qu’Alain R., son condisciple à la fac, mais il est difficile d’imaginer deux personnages aussi dissemblables. Physiquement, il a une carrure athlétique, due à la pratique du rugby et du tennis. Il possède tous les signes de l’hyperandrogénie* : les golfes frontaux dégarnis, la calvitie naissante, la pilosité abondante et la moustache fournie. Son physique est en harmonie avec sa façon de s’exprimer, franche, carrée, voire parfois brutale. À vrai dire, certains de ses patients le trouvent même un peu « pète-sec ». Il est bien assorti avec sa secrétaire, assez revêche, mais surtout très efficace. Mais il a une excellente réputation, et c’est tout ce qui compte, en définitive. Il a choisi de ne pas consulter à la clinique où il réalise ses endoscopies, mais dans un cabinet en ville qu’il partage avec son associé*, qui intervient dans un autre établissement.
Il compense une mémoire approximative par une organisation impeccable et des dossiers parfaitement tenus, grâce à sa secrétaire. Il se dit qu’il n’aurait jamais pu mener une carrière politique, car il aurait fallu pour cela qu’il soit capable d’associer un nom et une fonction à chaque main serrée, et ce n’est pas vraiment le cas. Par exemple, le patient qui est maintenant assis en face de lui, Claude L., il ne s’en souvient pas vraiment, mais son dossier précise qu’il lui a fait une polypectomie endoscopique il y a deux ans, et qu’il est censé le revoir pour un contrôle dans trois ans. Le dossier précise aussi qu’il est enseignant. Aïe, aïe, aïe ! Comme beaucoup de médecins, Jacques B. redoute de soigner les enseignants.
La consultation s’est déroulée, dans les grandes lignes, de la manière suivante.
-Bonjour Monsieur L. Que puis-je pour vous ? (En fait, la lettre dit pourquoi il vient, mais c’est une entrée en matière qu’il utilise souvent, un tic de langage, en somme).
-J’ai eu il y a trois semaines une rectorragie unique. J’ai peur que le polype que vous m’avez retiré il y a trois ans ne soit revenu.
-Vous avez raison, c’est une éventualité qu’il ne faut pas négliger. Je crois que le mieux, c’est que nous avancions la coloscopie de contrôle qui était prévue dans trois ans. Je préviens ma secrétaire, et vous allez voir tout cela avec elle. Elle vous donnera à lire les recommandations de notre société savante* sur les risques* de la coloscopie, et le consentement* que vous voudrez bien rapporter signé lors de la consultation d’anesthésie*. Vous verrez, cela n’a pas changé depuis la dernière fois. Ma secrétaire va vous prendre rendez-vous avec l’anesthésiste.
-Merci docteur.
-Au revoir Monsieur. On se revoit à la clinique pour la coloscopie.
Notes
Associé : plusieurs médecins travaillant ensemble dans la même spécialité peuvent signer un contrat d’association, qui fixe les modalités de leur fonctionnement commun. Ce n’est nullement une obligation.
Consentement éclairé : document que l’on fait signer à un patient pour attester, en cas de besoin, qu’il a accepté l’acte qui lui a été proposé en toute connaissance des bénéfices attendus et des risques encourus. Le consentement est « éclairé » par les explications données par le médecin, que ces explications soit orales, écrites, ou les deux à la fois.
Consultation d’anesthésie : consultation obligatoire avant tout acte réalisé sous anesthésie (sauf anesthésie locale). Elle doit intervenir impérativement entre un mois au plus tard, et 48 heures au plus près de l’acte.
Hyperandrogénie : sécrétion anormalement élevée, mais non pathologique, de testostérone chez certains individus masculins.
Risque/Chance : en statistiques, un risque est la probabilité qu’un évènement prévisible survienne. Si cet évènement est bénéfique, le risque peut être appelé « chance ».
Société savante : chaque spécialité médicale dispose d’une société savante, destinée, entre autres, à organiser des congrès dans la spécialité en question ou à édicter des règles de bonne pratique. Une des plus connues est la SFAR, Société française d’anesthésie-réanimation, qui rédige et diffuse tous les protocoles d’antibioprophylaxie en chirurgie.
Chapitre 5 : la consultation d’anesthésie
Claude L. a donc pris rendez-vous à la clinique pour la consultation d’anesthésie. On lui a indiqué qu’il verrait le Dr Gilbert P., un des membres de l’équipe d’anesthésistes* qui interviennent à la clinique Saint-Côme Saint-Damien. Ils sont une dizaine de médecins anesthésistes-réanimateurs* (les « MAR ») à assurer, à tour de rôle, le bloc opératoire*, les endoscopies, les consultations, les urgences*. Il y a autant d’hommes que de femmes, bien que cette parité ne soit nullement une obligation, ni même une recommandation. Cela s’est trouvé ainsi. C’est une organisation parfaitement rôdée, qui ne permet cependant pas de faire en sorte que le patient soit pris en charge par le même anesthésiste pour la consultation et l’intervention. Les patients apprécieraient, mais ils comprennent parfaitement que ce n’est pas réalisable pour des raisons d’organisation.
Gilbert P. a quarante-cinq ans, et cela fait dix ans qu’il a intégré l’équipe de la clinique. Il s’y sent parfaitement épanoui, et apprécie beaucoup les conditions de travail qui lui sont offertes. Il est d’un naturel enjoué, et sait mettre d’emblée les gens à l’aise, ce qui est une qualité particulièrement appréciée par les patients angoissés à l’idée de subir une anesthésie, et Dieu sait s’ils sont légion.
Très vite, il s’est intéressé à l’hypnose* médicale, développée à partir des travaux de l’américain Milton Erickson, qui a donné son nom à cette pratique, l’hypnose éricksonienne. Et il a réussi à convaincre tous ses collègues d’aller se former, de manière à créer un centre de référence pour l’hypno-analgésie*. Il est assez fier de cette belle réussite.
La consultation est assez stéréotypée : interrogatoire* du patient à la recherche de ses antécédents*, examen clinique* avec auscultation* cardiaque et pulmonaire, le tout consigné dans le dossier d’anesthésie*. Claude L. est en parfaite santé, et n’a jamais fumé. Il a donc droit au meilleur score de la classification internationale qui évalue les patients en termes de terrain*, et, partant, de risque. Claude L. est « ASA1* », ce que le praticien note dans la fiche d’anesthésie*, incluse dans le dossier, et qui servira de référence à tous les anesthésistes qui auront à prendre en charge le patient chaque fois qu’il sera appelé à être anesthésié.
Gilbert P. propose à Claude L. de réaliser la coloscopie sous hypnose, pratique qui est devenue la routine dans cet établissement. Il lui explique en quoi cela consiste, et lui précise qu’il ne s’agit là que d’une proposition, qu’il a parfaitement le droit de refuser.
Et puis c’est l’échange de consentements : l’anesthésiste remet le sien au patient, qui lui donne en retour celui qu’il a reçu des mains de la secrétaire du gastro-entérologue, et qu’il a signé après l’avoir lu. Puis vient le moment des formalités de préadmission*. Toutes proportions gardées, cela pourrait ressembler à une cérémonie de mariage civil !
Après avoir vu en consultation un certain nombre de patients à risque (des patients « pourris » dans le jargon des anesthésistes ; heureusement que les malades ne le savent pas !), Gilbert P. est heureux d’avoir affaire à ce patient en parfaite santé, qui pose quelques questions pertinentes et qui adhère sans tergiverser à ce qu’il lui propose ; un patient idéal, en somme, comme on aimerait en voir plus souvent.
Voici l’essentiel de leur entretien :
-Pour une coloscopie, on a le choix entre différentes modalités d’anesthésie. On peut faire une anesthésie générale, comme pour votre première coloscopie, ce qui est l’option la plus courante, mais dans cette clinique nous privilégions depuis quelques années l’hypno-analgésie, c’est-à-dire l’anesthésie par hypnose. Nous sommes tous allés nous former, et, quel que soit l’anesthésiste qui vous prendra en charge, vous pourrez bénéficier de cette technique. Il faut cependant savoir que tous les patients ne sont pas réceptifs, et qu’il n’est pas exclu que l’on passe en anesthésie générale en cours d’examen, si l’hypnose ne suffit pas.
-L’hypnose, pourquoi pas ? Je ne l’ai jamais expérimentée, mais je suis tenté. On m’en a parlé en bien. J’espère seulement que je serai réceptif, comme vous dîtes. Alors, allons-y pour l’hypnose.
-Je vous donne cette brochure à lire. Elle n’est pas mal faite, et vous aurez la
réponse à la plupart des questions que les gens se posent sur l’hypnose.
Notes
Anesthésie/Analgésie : l’anesthésie, c’est, stricto sensu, la perte de sensations, et l’analgésie la disparition de la douleur. Toute anesthésie, qu’elle qu’en soit la modalité, vise avant tout à l’analgésie temporaire permettant la réalisation d’un acte potentiellement douloureux. L’anesthésie peut être locale, locorégionale ou générale (les patients disent volontiers anesthésie totale).
Anesthésiste-réanimateur : c’est le nom complet de l’anesthésiste, qui assure la réanimation per et postopératoire des opérés. On dit également MAR, pour médecin anesthésiste-réanimateur. C’est une spécialité différente de celle de la réanimation médicale, qui ne comporte pas de volet d’anesthésie.
Antécédents : on distingue les antécédents familiaux du patient et ses antécédents personnels ; ceux-ci comportent les antécédents médicaux et chirurgicaux. Les premiers sont les maladies dont le patient a souffert dans le passé (un infarctus par exemple), ou dont il souffre encore (un diabète), ces dernières étant appelées « comorbidités ». Les antécédents chirurgicaux, c’est l’ensemble des interventions subies par le patient dans sa vie.
Le recueil des antécédents s’appelle l’anamnèse.
Auscultation : contrairement à un usage fautif très répandu, ausculter n’est pas synonyme d’examiner. L’auscultation consiste à écouter, à l’aide d’un stéthoscope, les bruits générés par le fonctionnement de certains organes comme le cœur ou les poumons.
Bloc opératoire : ensemble architectural dévolu aux interventions chirurgicales. Il comprend un certain nombre de salles d’opération, et la SSPI (Salle de soins post-interventionnels), ex-salle de réveil. Dans le contexte, l’expression « le bloc opératoire » désigne, par métonymie, l’activité chirurgicale qui se passe dans l’enceinte du bloc.
Dossier d’anesthésie/Fiche d’anesthésie : le dossier d’anesthésie est un sous-ensemble du dossier médical, qui contient en particulier la fiche d’anesthésie, document qui va servir aux différentes étapes d’un acte chirurgical ou endoscopique.
Examen clinique : c’est l’examen médical qui se fait, en théorie, au lit du patient. S’oppose à examen paraclinique, ou examen complémentaire.
Hypnose : activation, à l’aide d’une « transe », de la conscience virtuelle, utilisée à des fins médicales dans l’hypnose éricksonienne (du nom de son promoteur, l’américain Milton Erickson). La conscience virtuelle s’oppose à la conscience critique.
Hypno-analgésie : utilisation de l’hypnose éricksonienne pour remplacer ou compléter l’anesthésie.
Interrogatoire : l’examen d’un patient commence par un questionnement appelé interrogatoire : recueil des symptômes et plaintes du patient, anamnèse à la recherche d’antécédents…
Préadmission : formalités administratives réalisées en amont de l’hospitalisation.
Score ASA : score universellement utilisé par les anesthésistes pour quantifier le risque anesthésique d’un patient. ASA signifie American Society of Anesthesiology.
Terrain : synonyme d’état général, ou encore de morbidité.
Urgences : tout ce qui ne passe pas par la programmation à partir de la consultation est une urgence. Les cliniques privées ne sont pas tenues d’accueillir les urgences, mais doivent assurer la « permanence des soins ».
Chapitre 6 : la coloscopie sous hypnose
Claude L. est un patient discipliné. Il a suivi scrupuleusement les prescriptions de son gastro-entérologue : régime sans résidus* pendant quelques jours et préparation colique* pour que le côlon soit parfaitement propre, « nickel » comme on aime à le dire (grâce à Internet, il sait maintenant pourquoi on dit « nickel » ; le lecteur que cela intéresse saura comment trouver la réponse) ; tout cela est assez désagréable, et même plutôt « chiant », ce qui , pour une fois, est réellement le cas de le dire ; sans oublier la douche à la Bétadine le matin même.
La veille, un coup de téléphone de la clinique lui a indiqué qu’il était attendu à 10 heures dans l’unité d’endoscopie ambulatoire. Claude L. connaît déjà les lieux ; c’était les mêmes il y a deux ans, la même routine aussi. C’est son épouse qui l’accompagne et qui viendra le rechercher dans quelques heures.
Arrivé au bloc d’endoscopie*, il est pris en charge par le personnel, qui vérifie son identité. Il ne sait pas encore combien de fois on lui posera la question de son identité. On a du mal à croire qu’avec tant de précautions il puisse y avoir des erreurs de patients, mais, malheureusement, cela n’est pas impossible, même si ça reste exceptionnel.
L’anesthésiste, qui n’est effectivement pas celui qu’il a vu en consultation, se présente, et lui demande dans quel « lieu de sécurité* » il souhaite se rendre pendant sa transe hypnotique. Il choisit d’aller sur son parcours de golf habituel. Par chance, l’anesthésiste est également golfeur, ce qui va beaucoup l’aider pour induire la transe. Comme ça, il est certain de ne pas dire de bêtises.
Entrée en scène du gastro-entérologue. Un coup d’œil sur le dossier : coloscopie pour rectorragie unique ; polypectomie il y a deux ans, risque faible. C’est une colo sous hypnose. Il se fait la réflexion que cette habitude récente des anesthésistes (les gaziers*, comme il aime à le dire un peu vulgairement) n’est après tout pas si mauvaise qu’il le pensait au début. Le seul problème, c’est qu’il faut faire silence pendant la durée de l’acte, ce qui lui est difficile : il a une voix de stentor, et ne déteste pas pousser de temps en temps un bon petit coup de gueule.
L’examen se passe sans aucune difficulté ; l’hypno-analgésie fonctionne parfaitement, et le côlon est bien préparé, heureusement… Et soudain, c’est la mauvaise surprise. Merde, une tumeur* du sigmoïde, se dit in petto le Dr B. Je ne m’y attendais vraiment pas, deux ans après la polypectomie. Il va falloir que je le lui dise. Ce n’est pas mon exercice favori. De toute façon, il faudra attendre le résultat des biopsies* que je viens de faire.
Le gastro-entérologue vient voir son patient avant sa sortie, pour lui faire part de ce qu’il a trouvé.
-Je suis tombé sur un volumineux polype du sigmoïde, trop gros pour être réséqué. Je ne sais pas s’il est bénin* ou pas (en fait, je suis quasiment certain que c’est un cancer, mais je n’en ai pas la preuve histologique), il faudra attendre une dizaine de jours pour avoir les résultats des biopsies.
-Dix jours, autant dire une éternité ; pourvu que ce ne soit rien. On verra bien. Au revoir docteur, et merci ; j’attends l’appel de votre secrétaire pour les résultats.
Notes
Bénin/Malin : bénin s’oppose à malin quand on parle d’une tumeur, malin étant synonyme de cancéreux. Attention au féminin : bénigne, maligne.
Biopsie : prélèvement d’un fragment d’une lésion en vue d’un diagnostic anatomo-pathologique.
Bloc d’endoscopie : structure dédiée à l’endoscopie, comme le bloc opératoire l’est à la chirurgie, et le bloc obstétrical aux accouchements.
Gazier : surnom familier des anesthésistes, qui manipulent des gaz médicaux.
Lieu de sécurité : une des techniques les plus utilisées en hypnothérapie.
Préparation colique : Technique qui consiste à laver l’ensemble du côlon pour que le gastro-entérologue puisse travailler sur un côlon propre, de manière à ne pas passer à côté d’une lésion. Elle peut se faire à l’aide de purges et/ou de lavements.
Régime sans résidus : Régime qui met le côlon au repos en ne fabriquant qu’un minimum de selles, autrement dit le moins de résidus possible.
Tumeur : terme assez générique qui s’applique aussi bien à une lésion bénigne comme un polype qu’à une lésion maligne comme un cancer. Cependant, le mot tumeur est souvent employé comme synonyme de cancer, comme c’est le cas ici.
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