Lors d’un récent entretien télévisé en visioconférence (émission C à vous du 19 décembre 2023), un médecin belge qui pratique régulièrement l’euthanasie dans son pays a donné son point de vue sur cette difficile question. Et je l’ai trouvé très pertinent (non seulement l’avis, mais aussi celui qui l’a donné).
Pour ce médecin belge, et contrairement à une idée majoritairement répandue chez ses confrères français, largement inspirée par la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs), l’euthanasie est bien un soin, un geste d’humanité qui permet de mettre fin à des souffrances insupportables pour le patient qui en fait la demande.
Il précise par ailleurs que, selon lui, la distinction que fait la loi française entre sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMJD), autorisée depuis la loi Clayes-Leonetti de 2016, et euthanasie, interdite, est hypocrite, la première apportant en réalité, et toujours selon lui, une mort différée, là où la seconde procure une mort immédiate. La loi française précise que la différence tient dans l’intentionnalité : « laisser mourir » et non pas « faire mourir ».
J’ai essayé de trouver une image qui explicite tout cela pour le grand public, qui a tendance à confondre toutes ces notions à vrai dire assez complexes, et l’idée m’est venue de la mort par pendaison. Quelle est donc cette expérience de pensée ?
Imaginons un patient dont la vie est devenue insupportable. Il se tient debout sur une chaise, avec une corde nouée autour du cou, et fixée au plafond.
Il suffit que ses pieds ne reposent plus sur la chaise pour que la mort par pendaison survienne.
Si le patient s’est installé tout seul dans cette position, et qu’il repousse du pied la chaise sur laquelle il se tient debout, c’est un suicide.
S’il a eu besoin d’une aide extérieure pour être installé, mais qu’il a eu la force de repousser lui-même la chaise, ce suicide est assisté.
Si la tierce personne qui l’a installé repousse elle-même la chaise, alors il s’agit d’une euthanasie.
Dans ces trois premiers cas, le patient a réellement voulu mourir (situation 1) ou demandé à mourir (situations 2 et 3). Ces deux dernières situations sont les modalités de ce qu’il est convenu d’appeler l’aide active à mourir, l’AAM.
Et si cette même tierce personne qui tient le fil de la vie du patient entre ses mains attend que le patient tombe tout seul de la chaise par épuisement, on est en présence d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès.
Dans ce dernier cas, le patient n’a pas nécessairement le désir de mourir. Il veut juste ne plus souffrir. Il sait qu’il ne se réveillera pas, dans un délai qu’il ignore, mais qui sera probablement plus court que celui de sa mort sans sédation.
On peut comprendre que pour notre médecin belge cette quatrième situation soit très proche de la troisième, l’euthanasie. Et qu’il juge préférable que cette mort provoquée soit instantanée, et non pas différée.
Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre, ce 24 décembre, le philosophe Luc Ferry, en règle générale plutôt bien informé, énoncer quelques erreurs factuelles et contre-vérités sur ces questions lors d’une intervention sur LCI, dans laquelle il évoquait différents sujets d’actualité, dont la future loi sur la fin de vie, promise par le président Macron pour les premiers mois de 2024. Luc Ferry réagissait à la prestation d’Emmanuel Macron dans cette même émission C à vous, quelques jours auparavant.
Dans cet entretien il déclare que la loi Clayes-Leonetti de 2016 lui semble suffisante, ce qui est son droit (je signale que ce n’est pas l’avis rendu par la Convention citoyenne sur la fin de vie). Mais, à propos de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès, il parle d’« injection létale ». Serait-ce qu’il pense que cette SPCMJD est une euthanasie qui ne dit pas son nom ? Ou était-ce une faute d’attention, due à la fatigue (à plusieurs reprises il a eu quelques absences, oubliant par exemple le prénom de son ami Axel Kahn) ? Voilà pour l’erreur factuelle, plutôt vénielle.
La contre-vérité montre que sur au moins un de ces sujets notre philosophe est mal informé. Il déclare en effet qu’en Suisse il est possible à des personnes en bonne santé de bénéficier d’une procédure de suicide assisté (SA). Or rien n’est plus faux.
Il se trouve que j’ai choisi comme sujet de mon mémoire de fin de diplôme inter-universitaire en soins palliatifs les différences que l’on peut observer entre la France et la Suisse en matière de fin de vie. La différence la plus évidente est la pratique du suicide assisté, autorisée en Suisse, interdite en France. J’ai donc étudié à fond ce sujet, et je m’inscris en faux contre l’affirmation de Luc Ferry.
Il n’est certes pas nécessaire d’être atteint d’une maladie mortelle et incurable pour bénéficier d’un suicide assisté, comme le démontre le cas emblématique de Jean-Luc Godard. En effet, le SA est possible pour des patients atteints de polypathologies invalidantes, même si aucune de ces maladies prises isolément n’est mortelle. Ce fut le cas du célèbre cinéaste suisse, mort chez lui à Rolle par suicide assisté en septembre 2022, au moment même où je commençais mon stage de perfectionnement dans le Service de médecine palliative des HUG, les Hôpitaux universitaires de Genève. Et cette annonce est passée inaperçue dans cet excellent service de soins palliatifs.
J’avais l’idée, pour ma petite expérience de pensée, de l’affubler du sous-titre un peu provocateur « L’aide active à mourir pour les nuls », mais je me rend compte que même des intellectuels bien informés peuvent dire des bêtises sur ces sujets sensibles…
Oui, nous sommes tous des “nuls” face à la complexité de ces lois mais grâce à votre talent pédagogique (bravo pour l’image de la pendaison), votre savoir de praticien et votre clarté intellectuelle nous voilà enfin éclairés. Merci ! Et Joyeux Noël ! - fête de la vie naissante ;-)