Chapitre 7 : fin du Journal, mais malheureusement pas de la pandémie
Les quinze derniers jours du mois de juin
Voilà, nous arrivons au terme du journal que Didier Pittet a rédigé du 1er janvier au 30 juin 2020, période centrée par le premier confinement en Europe, notamment en France et en Suisse, le pays de notre auteur.
Je rédige ce résumé à partir du 14 décembre, date à laquelle les grands électeurs américains se sont réunis pour élire le prochain président américain, qui sera donc Joe Biden, sans surprise pour les gens rationnels. En revanche je connais des gens influencés par les thèses complotistes qui circulent sur Internet qui étaient intimement persuadés du contraire. L’un de ces illuminés, pourtant normalement cortiqué, a parié avec un anesthésiste de mes amis qu’il y aurait une énorme surprise, et que Donald Trump serait élu. Il en était tellement sûr qu’il a misé sans hésitation aucune une bouteille de champagne. Perdu…
Sur le front de l’épidémie, elle recule moins que prévu après la première phase du déconfinement, et nous sommes très loin du chiffre espéré de 5000 nouveaux cas pour passer, dès demain, à la deuxième phase du déconfinement. C’est largement plus du double en ce moment. Le réveillon de Noël est préservé, avec la recommandation formelle de ne pas être plus de six adultes à table. En revanche, il ne sera pas possible de fêter le 31 décembre dehors, comme c’est la tradition. Il y aura un couvre-feu. Dès demain, nous n’aurons plus besoin d’une attestation pour circuler librement.
Tout le monde redoute une troisième vague provoquée par les fêtes de fin d’année. Sauf manifestement les 500 personnes réunies dans un restaurant de Marseille pour une fête clandestine. Les Allemands seront très restreints dans leurs déplacements jusqu’au 10 janvier. Les Italiens aussi. Une des images fortes que je retiendrai de cette période, c’est le discours d’Angela Merkel au Bundestag conjurant les parlementaires d’accepter des mesures drastiques pour ne pas avoir à subir de lourdes conséquences sanitaires après le 1er janvier 2021. Elle, d’habitude si placide, était à la fois très énervée et au bord des larmes, presque suppliante. C’était impressionnant et émouvant, et pas du tout ridicule. Je pense que si Emmanuel Macron s’était comporté publiquement de la sorte, il aurait été la risée des médias et des Français dans leur ensemble.
Les Britanniques ont commencé à vacciner la population dès la semaine dernière, en débutant par une alerte nonagénaire. Le deuxième Anglais à avoir été vacciné répond au nom de William Shakespeare ! Sacrés Anglais.
Les Américains viennent de commencer leur campagne de vaccination.
Lundi 15 juin
Aujourd’hui la frontière franco-suisse rouvre. C’est un grand jour pour nous autres frontaliers. D. P., citoyen suisse habitant tout près de la France et travaillant en Suisse, se considère donc comme un frontalier !
D. P. pense à la mission que lui a confiée le président français, et se demande comment juger en toute objectivité de la gestion française de la crise. Il ne pourra le faire qu’en se référant à la chronologie mondiale de la pandémie, en tenant compte des connaissances disponibles au jour le jour. Il pense qu’il faudra attendre le printemps 2021 pour estimer la surmortalité induite par le Covid pendant l’année écoulée, d’autant que chaque pays décompte les morts à sa façon, certains ne prenant pas en compte les morts à domicile ou dans les maisons de retraite. Selon The Economist ou The Financial Times, quatre pays publient des données cohérentes (la Suisse, la France, l’Allemagne et la Suède), pendant que d’autres sous-évaluent la surmortalité liée au covid (Espagne, Italie, Angleterre ou États-Unis).
D. P. évoque le cas suédois, seul pays a avoir misé sur l’immunité de groupe, tout en ne l’atteignant pas, loin de là. La Suède compte huit fois plus de victimes par million d’habitant que ses voisins scandinaves, et a été le dernier pays à passer sous la barre d’un mort par million d’habitants. La stratégie suédoise du laisser-faire, au résultat catastrophique, démontre a contrario l’intérêt du confinement adopté par tous les autres pays. Et, en cette fin d’année, la Suède adopte plus ou moins les mêmes mesures que les autres pays européens.
Mardi 16 juin
D. P. évoque les propos de Jérôme Salomon devant la commission d’enquête parlementaire à propos des masques. Le gouvernement aurait, selon Jérôme Salomon, toujours suivi les recommandations internationales, ce que D. P. conteste. Il y a en France un penchant pour une politique démonstrative, aux actions visibles, et le masque semble répondre à ce désir profond. En revanche Jérôme Salomon n’est pas interrogé sur l’hygiène des mains, dont D. P. continue de penser qu’elle est nettement plus importante que le port du masque.
Jeudi 18 juin
C’est le mariage civil de sa fille Irène avec Mathieu. Didier veille à ce que ce mariage ne se transforme pas en cluster.
Vendredi 19 juin
Fin de l’état de situation exceptionnelle en Suisse. Les rassemblements de plus de mille personnes sont de nouveau autorisés.
Samedi 20 juin
D. P. fait un point de la situation dans la presse, en précisant que les tests sérologiques réalisés montrent que 85 à 90% de la population n’a pas développé d’anticorps. Cela représente un fameux terrain de jeu pour le virus !
Le mariage religieux de sa fille Irène se passe à merveille. Son autre fille, Laure, est confinée à Melbourne.
Lundi 22 juin
Des dermatologues espagnols affirment que les solutions hydro-alcooliques pourraient provoquer des brûlures cutanées lors d’une exposition au soleil. D. P. explique pourquoi cela est faux, de même que le risque d’explosion des flacons laissés au soleil, autre légende urbaine. L’auto-inflammation de l’alcool survient à plus de 400° C.
Sur France 24 il débat de la pertinence de la reprise de l’école ce jour en France, et aussi de la rentrée de septembre. Il répète que le virus sera toujours présent.
Mardi 23 juin
C’est gagné ! La Suisse annonce la gratuité des tests de dépistage pour tous. Nous aurons bataillé plus de trois mois pour obtenir cette mesure de première nécessité.
Mercredi 24 juin
D. P. a pris sa décision : il ira le lendemain à Paris pour rencontrer Emmanuel Macron. L’ambassadeur lui conseille d’emporter son pyjama pour le cas où la réunion se prolongerait. Les Français savent que leur président a du mal à faire court, tant il aime débattre et convaincre ses interlocuteurs.
Le conseil scientifique français juge extrêmement probable une deuxième vague à l’automne. Cette prédiction n’est pas du goût de D. P. qui la trouve anxiogène. Il aurait préféré que l’on dise aux Français qu’il n’y aura pas de deuxième vague s’ils continuent à respecter les gestes barrières. Si on leur annonce une seconde vague comme inévitable, cela revient à formuler une prophétie autoréalisatrice, parce qu’elle est en elle-même démotivante. Face à une épidémie, il n’y a pas de bataille perdue d’avance.
On le sait maintenant la deuxième vague a submergé le monde entier, y compris la Suisse. Et, en cette fin d’année 2020, la France s’en sort plutôt un peu mieux que le reste de l’Europe. Pour l’instant…
Jeudi 25 juin
D. P. s’entretient par téléphone avec les autres membres de la mission Macron (Raoul Briet, ancien président de la Cour des comptes, Laurence Boone, économiste à l’OCDE, Anne-Marie Moulin, du CNRS, et son ami Pierre Parneix, spécialiste de santé publique au CHU de Bordeaux). Je ne comprends rien aux acronymes qu’ils utilisent, mais je finirai par me les mettre dans la tête.
D. P. fait la connaissance d’Olivier Véran à l’aéroport de Genève. Véran et moi, nous avons tant de choses à nous raconter, tant de points communs, tant de vécu en partage que nous passons vite au tutoiement comme nous le faisons habituellement entre médecins.
Véran lui avoue qu’il est crevé parce qu’il a besoin de six heures de sommeil par nuit et qu’il dort moins depuis qu’il est ministre. Il lui raconte qu’Emmanuel Macron ne dort que trois heures, passant ses nuits à éplucher le Lancet. Bel exemple de conscience professionnelle (ça c’est moi qui le précise).
Puis c’est la séance de travail avec le président, qui le salue en joignant ses mains à hauteur de poitrine, en inclinant la tête et en prononçant « namasté » (salutation), ce qui touche D. P. qui suggérait, à la fin du livre Le geste qui sauve, de remplacer la poignée de mains, geste guerrier, par le namasté, geste de paix dans un monde en paix. Après s’être frictionné les mains en respectant le protocole « le bout des doigts d’abord », sur lequel D. P. insiste tant, Emmanuel Macron lui tend sa lettre de mission. D. P. suggère d’interroger d’abord ses quatre collègues français, qui sont en visioconférence, car ils connaissent mieux que lui le système français. Ils emploient parfois des termes administratifs que D. P. avoue ne pas comprendre. En raccompagnant son hôte le président lui déclare tenir beaucoup à son indépendance, et lui demande de lui faire savoir directement si une difficulté se présentait.
Vendredi 26 juin
D. P. est effaré par les images de plages anglaises bondées. Ces comportements m’inquiètent. L’été risque d’être un merveilleux bouillon de culture pour le virus si nous oublions la distanciation physique. D. P. comprend le ras-le-bol de la population, qui relâche la discipline, mais, bien entendu, il le déplore.
Lundi 29 juin
Aux HUG, fin de l’obligation de porter un masque pour les patients et les visiteurs. Première visioconférence avec ses collègues de la mission Macron.
D. P. y associera des chercheurs de son équipe, pour que l’analyse de la situation ne se limite pas à la France.
Mardi 30 juin
C’est la parution dans The Lancet de sa lettre Surfing the Covid-19 Scientific Wave, dans laquelle il exprimait ses critiques envers les études qui prétendent que le virus du Covid se transmet par aérosol. J’aimerais bien savoir quelle est sa position sur ce sujet controversé en cette fin d’année 2020.
Parlant avec Darius Rochebin du financement de ses recherches par des firmes privées, D. P. est amer : Dans les commentaires, je me fais assassiner, je suis un vendu, on m’oppose à Didier Raoult, lui-même pourtant davantage financé par le privé que moi. Il me semble que c’est l’éthique et l’intégrité de chacun qui sont en cause. Je pourrais conseiller à Didier de lire l’essai de Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment. Il comprendrait alors l’importance du ressentiment pour expliquer ce type de comportement chez les médiocres.
Il note que certains internautes cherchent à prouver que le confinement français n’a servi à rien puisque 99,96% des Français ont survécu au covid. Il rétorque que les accidents de la route épargnent 99,99% des gens. Faut-il pour autant laisser tomber la prévention routière ? Même remarque pour le cancer, qui laisse indemnes 99,76% des individus. Doit-on pour autant cesser de soigner le cancer ? Pour D. P., il est nauséabond de penser la vie humaine en termes de pourcentages. (…) Il faut se mettre à la place des statistiques et y ranger sa famille, ses amis, ses proches. Sans parler des patients atteints qui ont survécu avec des séquelles qui les empoisonneront longtemps, voire à jamais.
En rentrant chez lui, Séverine, son épouse, lui raconte, indignée, avoir vu dans le tram un beau jeune homme avec un masque signé Gucci. Et elle lui dit : T’as vu à quelle vitesse le système a métabolisé le covid ? Bienvenue dans le monde d’avant.
Voilà, c’est terminé pour le récit par Didier Pittet des six premiers mois de la pandémie, en Suisse, en France et dans le reste du monde.
Nous approchons des fêtes de Noël. En France il sera possible de réveillonner en famille, avec la consigne, qui ne sera probablement pas respectée par tout le monde, de ne pas être plus de six adultes autour de la table. Mais dans certains pays qui se reconfinent, ce ne sera même pas possible. Je pense en particulier à l’Angleterre : dans le sud-est du pays une souche mutante a été mise en évidence, qui serait plus virulente. Les Anglais, pour la plupart d’entre eux (dont mon fils aîné et sa famille), sont reconfinés à partir du 19 décembre.
Emmanuel Macron, positif avec des symptômes, est confiné à la Lanterne. Je lui souhaite un prompt rétablissement.
En France, une troisième vague est attendue pour fin janvier, que la vaccination, qui va débuter en même temps fin décembre dans les 27 pays de l’Union européenne, ne pourra pas endiguer.
Mais il faut signaler une bonne nouvelle : Twitter, vecteur de tant de mensonges et d’insanités haineuses, le réseau social préféré de l’inénarrable Donald Trump, annonce qu’il sanctionnera dorénavant la désinformation sur les vaccins. Toute personne qui postera un message délibérément mensonger sur la vaccination devra le retirer, sous peine de ne plus pouvoir twitter. Belle avancée !
Vivement qu’on en finisse avec cette annus horribilis, selon l’expression employée en 1992 par la Reine d’Angleterre. Mais 2021 sera-t-elle l’année où le monde vaincra l'épidémie? Rien n'est moins sûr, hélas...
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